En lieu sûr sur la scène
Le théâtre aide des femmes d’Amérique centrale à faire face aux dangers de la migration vers les États-Unis.
Affiché par Alanna Mitchell le 29 février 2019

Il s’agit de l’un des enjeux politiques les plus brûlants en Amérique du Nord : le fait que des Méso-Américains en quête d’une vie meilleure tentent de migrer vers les États-Unis. La construction d’un mur entre le Mexique et son voisin du Nord a d’ailleurs été un cri de ralliement du président américain Donald Trump avant son élection. Aujourd’hui, son obstination à passer à l’action soulève encore davantage de passion.
Ce contexte a conduit à une série de scènes déchirantes aux frontières, notamment la détention de milliers d’enfants migrants séparés de leurs parents dans des centres dirigés par les autorités en sol américain.
Mais au milieu de toutes les tragédies qui alimentent le téléjournal du soir, un phénomène demeure largement méconnu : la féminisation de la migration. En effet, même si la majeure partie des migrants sont des hommes, de plus en plus de femmes entreprennent aussi cette longue marche vers le nord. Et la vaste majorité d’entre elles (60 à 70 %) sont alors victimes de violences sexuelles, selon Judith Erazo, coordonnatrice du programme de migration de l’Equipo de Estudios Comunitarios y Acción Psicosocial (Équipe d’études communautaires et d’action psychosociale) ou ECAP, une organisation de recherche sur les droits de la personne installée à Guatemala, la capitale du pays du même nom.
Ces chiffres sont tirés d’une étude pionnière de 400 000 $ financée par le CRDI et effectuée par l’ECAP et deux autres organisations de défense des droits de la personne du Mexique, le Centro de Derechos Humanos Fray Matías de Córdova A.C (Centre des droits de la personne Fray Matías de Córdova) et la Voces Mesoamericanas, Acción con Pueblos Migrantes, Asociación Civil (association civile Voix méso-américaines, Action avec les peuples migrants).Terminée à l’automne 2018, cette étude est l’une des rares à examiner la migration de masse en provenance d’El Salvador, du Guatemala et du Honduras sous l’angle de l’expérience des femmes.
Quelles sont les personnes qui attaquent les femmes et de quelles manières s’y prennent-elles ? À quels endroits et à quelles étapes du voyage ces agressions se produisent-elles ? Comment ces organisations peuvent-elles aider les femmes à comprendre leurs droits, à composer avec les séquelles de ces violences et peut-être à les prévenir ? Les résultats de l’étude sont bouleversants. La violence et le non-respect des droits de la personne caractérisent à peu près toutes les étapes de la vie des femmes : chez elles, durant le voyage, au point d’arrivée et même au retour dans leur propre village si elles sont forcées d’y retourner. « La violence fondée sur le sexe est un facteur constant dans leur vie, explique Judith Erazo. Pour les femmes, aucun lieu n’est sûr. »
Les assaillants peuvent être d’autres migrants, des trafiquants d’êtres humains connus sous le nom de « coyotes », des policiers, des agents d’immigration et même des employés de banque qui forcent les femmes à avoir des rapports sexuels en échange d’un prêt ou de meilleurs taux d’intérêt. Il y a aussi les bandes de jeunes qui isolent des filles parfois d’à peine 13 ans et les violent sous la menace. Certaines femmes qui restent en Amérique latine alors que leur famille émigre font aussi face à des violences, pas de la part de bandes organisées ni de trafiquants ou de représentants de l’autorité, mais de celle d’autres villageois à qui un parent parti devait de l’argent, par exemple.
Dans certains cas, forcées de consentir des faveurs sexuelles pour rester en sécurité, les femmes considèrent leur corps sert presque de monnaie d’échange, explique Judith Erazo. C’est une extorsion sexuelle qui est ancrée dans le tissu social et découle du machisme ambiant.
Et cela signifie que les solutions sont complexes, poursuit la chercheure. Cela implique d’informer de leurs droits les femmes et les filles migrantes effrayées et traumatisées. Comme y parvenir ? Un moyen innovant est d’utiliser le théâtre, une tradition connue sous le nom de « théâtre de l’opprimé » qui a vu le jour au Brésil dans les années 1970 sous la houlette du directeur de théâtre Augusto Boal. Cette démarche a ses limites pour les migrantes; étant continuellement en mouvement, elles peuvent difficilement y prendre part. Néanmoins, 300 femmes et filles ont jusqu’à présent participé à des productions théâtrales dans plusieurs endroits du Mexique, indique Markus Gottsbacher du CRDI, superviseur du projet.
Étant donné que les pièces sont jouées dans les parcs pour attirer un large public et qu’elles présentent à la fois une histoire percutante et une mise en scène séduisante, elles permettent de sensibiliser à une question donnée une collectivité entière, y compris les personnes analphabètes, explique Judith Erazo. Elle ajoute que les femmes victimes de violences sexuelles puisent quelque réconfort à écrire leur propre pièce qui sera jouée sur scène. « L’idée est qu’elles décrivent ce qu’elles ont subi et comment cela les a affectées. Ces pièces peuvent avoir un effet thérapeutique. »
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