L'essor de Mukuru
Comment une nouvelle désignation peut transformer le bidonville de Nairobi et mettre un terme à la « pénalité de pauvreté » à laquelle font face ses habitants.
Par Alanna Mitchell le 29 mars 2018

Jane Weru, directrice générale de l’Akiba Mashinani Trust, a compris que quelque chose ne tournait vraiment pas rond, en 2011, quand des habitants du quartier Mukuru de Nairobi se sont mis à affluer dans son bureau de la capitale kényane.
Ils étaient nombreux à se faire expulser de leurs maisons. Et par « maisons », on entend des cahuttes d’une pièce faites de tôle ondulée rouillée, dans des établissements spontanés densément peuplés qui ont poussé sur une aire autrefois prévue pour des activités industrielles légères. Ces cabanes mesurent en général trois mètres sur trois et certaines ont un sol en terre battue. Un des principaux moyens d’éviction utilisés était l’incendie criminel de nuit, qui forçait les habitants à fuir. Souvent, ces derniers étaient empêchés de retourner chez eux par des bandes de rue qui leur défendaient l’accès des lieux jusqu’à ce que le propriétaire reconstruise rapidement un autre abri et y installe de nouveaux locataires.
Jane Weru, avocate et championne des droits de la personne, s’est alors mise à réfléchir à ce qu’elle pouvait faire pour remédier à la situation. Son organisation chargée de développer le logement finance une agence affiliée à Slum Dwellers International, groupe de soutien aux pauvres des zones urbaines d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Le Kenya ayant voté en 2010 une constitution enchâssant les droits économiques et sociaux, elle entrevoyait de nouvelles avenues juridiques pour contrer les évictions.
Mais avant d’étudier les éventuels recours légaux, elle devait identifier les gens qui possédaient les terrains à Mukuru et ceux qui y vivaient. Avec son organisation, elle s’est mise à accumuler des données dans le cadre d’un projet de recherche continu auquel le Centre de recherches pour le développement international a apporté une contribution financière de 633 600 $ sur deux ans.
Mme Weru se dit atterrée par certaines des constatations. Par exemple, elle et ses collaborateurs se sont rendu compte qu’il y avait à Mukuru plus de 100 000 foyers de trois personnes, soit un total d’environ 300 000 habitants. Et cette population n’avait accès à aucun service de base. Selon la chercheuse, très peu de maisons disposaient de toilettes et environ 3000 foyers partageaient des fosses d’aisances qu’il fallait vidanger à la main.
Fait tout aussi inquiétant, on comptait 94 % de locataires; dans bien des cas, ceux-ci versaient leur loyer à des personnes qui possédaient les constructions, mais non les terrains. Il s’agissait de terrains privés appartenant souvent à des membres bien placés de l’élite kényane, notamment des représentants du gouvernement, des fonctionnaires ou des entrepreneurs. Beaucoup avaient pu acheter ces terrains en mettant en avant des projets de routes, d’activités ferroviaires ou de services publics, auxquels ils n’avaient cependant jamais donné suite. Les évictions se produisaient parce que les terrains avaient soudainement pris de la valeur.
Comme les gens résidaient sur des terrains privés, ils n’avaient pas accès aux services de la Ville. Ils payaient donc des prix exorbitants – dans certains cas six fois plus que les habitants des zones dotées de services municipaux à Nairobi — pour le peu d’eau malsaine qu’ils pouvaient obtenir.
Pour les chercheurs, cela équivalait à une « pénalité de pauvreté ». Cela voulait également dire qu’il circulait dans Mukuru des sommes prodigieuses qui auraient pu servir théoriquement à hausser le niveau de vie de la population plutôt qu’à payer des services de première nécessité à des prix prohibitifs. Une équipe de chercheurs a estimé que l’élimination de ces coûts indus pourrait fournir 500 millions de dollars américains sur 10 ans.
Forts des données et des preuves accumulées sur ce qui se passait, Jane Weru et Jack Makau, directeur de Slum Dwellers International au Kenya, demandèrent à la Ville de Nairobi de désigner le district de Mukuru comme zone de planification spéciale. Leur requête fut acceptée le 11 août 2017, date qui a marqué un tournant pour la cause qu’ils défendent.
Le changement exige une planification de deux ans qui fera appel non seulement aux ressources de la Ville, mais aussi à celles de 27 autres organisations, en vue de trouver des solutions pour ce quartier. « Nous pensons que tous ces organismes permettront d’acquérir la capacité nécessaire pour aider les gens de Mukuru », explique Jack Makau.
Jane Weru et lui croient que les habitants joueront aussi un rôle important dans ce processus. Les associations de quartier représentant 8000 familles de Mukuru font des propositions. Les membres de la collectivité continuent de réunir des preuves et des données en vue du nouveau projet. « Les gens ont besoin de se consulter pour décider de la marche à suivre », dit Mme Weru.
Avec le temps, les deux leaders peuvent imaginer que les habitants de Mukuru vivront dans un milieu sûr et dans des maisons locatives de meilleure qualité. Certains pourront acheter leur logis grâce à des prêts hypothécaires modulés en fonction de leurs revenus. Ils disposeront aussi de services de base, comme les toilettes et l’eau courante, de terrains de jeux et d’espaces publics.
Les attentes sont grandes. Un projet de recherche consistait à demander à 6000 écoliers ce qu’ils espéraient voir à Mukuru. Au delà des maisons sûres, des toilettes et de l’eau courante, ceux-ci rêvaient d’un zoo, de belles galeries marchandes et de parcs d’attractions.
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Ce billet fait partie d’une série d’articles qui porte sur des projets soutenus par le Centre de recherches pour le développement international et qui est présentée en partenariat avec Canadian Geographic. Un blogue par mois sera diffusé sur le site idrc.canadiangeographic.ca.
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