Lutter contre la violence sexospécifique en Colombie
Comment le dialogue et la cartographie contribuent à redéfinir les comportements à l’égard des femmes et des personnes LGBTI
Affiché par Brian Banks le 20 août 2019

La Colombie a été déchirée, pendant des générations, par les conflits armés opposant forces gouvernementales, guérillas et factions paramilitaires. Ratifié à la fin de 2016, le processus de paix qui a mis fin officiellement aux hostilités a pris lui-même des décennies à aboutir.
Aussi, la vague d’agressions à l’encontre des femmes et des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI), qui a sévit au début de 2017 à Tumaco, une ville à la frontière avec l’Équateur, soulignait-elle une triste réalité : en cette ère post-conflit, il ne serait ni facile ni rapide de contrer cette violence sexospécifique.
C’est aussi une réalité que combat Génica Mazzoldi Díaz, chercheuse principale à la Fundación Ideas para la Paz (FIP), groupe de réflexion de Bogotá qui œuvre à l’instauration d’une paix stable et durable en Colombie. En février 2017, elle a entrepris, avec son équipe, un projet de deux ans avec le CRDI à Tumaco et dans deux autres régions frontalières : Apartadó au nord et Putumayo au sud. Le but était triple : appréhender le problème de la violence sexospécifique de la perspective des victimes, évaluer l’efficacité et les limites des politiques de sécurité existantes; travailler avec les principaux intervenants locaux pour présenter et appliquer les résultats de la recherche en vue d’améliorer la situation.
« Historiquement, on constate un haut niveau d’impunité et un accès limité à la justice surtout pour les femmes et les populations LGBTI, fait remarquer Génica Mazzoldi Díaz. De plus les politiques publiques de la Colombie ne prennent pas en compte de façon exhaustive les questions de sécurité et de violence sexospécifique. »
Un seul programme dans trois régions restreintes ne changera pas la société colombienne du jour au lendemain. Mais, au terme de ce projet, Génica Mazzoldi Díaz estime que les résultats obtenus ont un effet positif et ont suscité l’intérêt des autorités locales, des responsables communautaires et du secteur privé. « Nous avons été capables d’approfondir la compréhension des relations entre les types de violence et la perception de sécurité chez les femmes et les personnes LGBTI », explique-t-elle.
Dès le départ, les chercheurs ont reconnu que l’objet de leur étude et la vulnérabilité des gens qu’ils voulaient atteindre imposaient une démarche prudente et interactive. Les équipes ont effectué des visites préalables pendant 10 jours dans les collectivités locales des trois territoires et atteint un millier de personnes.
« Nous avons mis au point deux principaux exercices, à cette étape. Le premier était un sondage concernant la violence sexospécifique et les perceptions de sécurité, explique la chercheuse. Le second était une activité cartographique. Cela nous a permis de cerner les différents types de violence et de déterminer les zones sûres et les zones dangereuses en fonction des perceptions des femmes et des personnes LGBTI. »
Cette étude a mis au jour un paysage complexe comprenant diverses sources de violence : groupes armés, familles, institutions locales et milieux de travail. Pour les femmes, le stéréotypage fondé sur le sexe qui donne aux hommes la liberté d’exprimer leur violence constitue un problème à la maison et là où les groupes criminels en font usage pour se rendre maîtres d’un territoire. Dans les économies locales fondées sur le trafic de drogue, les femmes se sentent davantage en sécurité lorsqu’elles peuvent trouver un travail légitime. L’étude révèle que les mesures de sécurité de l’État ne s’attaquent pas efficacement aux risques que courent les femmes.
En ce qui touche les personnes LGBTI, le stéréotypage et les préjugés constituent de graves menaces. À cela s’ajoute le manque de toute reconnaissance officielle ou de données sur la violence à l’encontre de ces personnes, ce qui limite d’autant la réponse institutionnelle.
Après les sondages, l’équipe du FIP a pris le parti inhabituel de retourner sur le terrain afin de communiquer les résultats aux collectivités locales et d’affiner ses données. Cela a contribué non seulement à améliorer l’étude mais à accroître l’acceptation par les intervenants locaux. « Ils n’ont pas l’habitude qu’on leur transmette ces renseignements et qu’on les valide avec eux », explique Génica Mazzoldi Díaz.
Cette démarche unique en son genre transparaît également dans les cartes des perceptions élaborées pour communiquer les résultats au cours des réunions de suivi avec les autorités locales, les entreprises et les organisations d’aide internationales. Au lieu d’utiliser de simples points pour localiser les zones à problème, on a encouragé les femmes à créer leurs propres symboles. Certaines ont dessiné des guêpes et des serpents pour désigner, dans le premier cas, les endroits où les attaques sont fréquentes et, dans le second, les zones contrôlées par des groupes criminels. « Le recours à ces symboles a permis aux femmes de parler en fonction de leurs propres expériences, de leurs propres connaissances », explique la chercheuse.
Le message s’est révélé efficace. À Apartadó, région de production bananière, une entreprise a sollicité l’aide du groupe FIP pour donner un atelier afin de sensibiliser les hommes aux préoccupations féminines et de trouver le moyen de rendre ce lieu de travail majoritairement masculin plus accueillant pour les femmes.
Maintenant que ce projet d’équipe est terminé, Génica Mazzoldi Díaz espère porter ces réflexions à l’attention d’un auditoire plus vaste. « Un des objectifs principaux de notre organisation est d’intégrer ce genre de sujets au programme national ainsi qu’à la politique publique en cours d’élaboration. »
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